“Petit Chaperon” : le conte à rebours
Rougir, fuir, questionner : dans ce Petit Chaperon intense et moderne, cape écarlate, loups masqués et regards muets disent la force de s’émanciper. Un récit puissant, visuel et nécessaire.
Par Amandine Gombault
En seulement quelques mots, ou parfois sans mot, Beatriz Martín Vida offre une relecture radicale et poétique du conte du Petit Chaperon Rouge, en trois temps forts : l’irruption du chaperon, la rencontre avec le loup déguisé, puis la fuite hors des mâchoires de la bête. L’objet est dense : 64 pages au format carré, où chaque double-page agit comme un tableau, jouant avec les couleurs, les ombres, les regards pour installer une tension presque photographique.
Dès les premières images, on sent que ce n’est pas la version édulcorée de l’histoire traditionnelle. Le rouge du chaperon ne fait pas seulement signe, il brûle, il fascine. Le loup n’est pas juste une bête, mais un prédateur camouflé dans l’ambiguïté. Le silence des mots accentue la puissance des images, laissant place à l’interprétation, à la résonance intérieure. On y voit le passage de l’enfance à l’adolescence, les tremblements d’une prise de conscience, l’éveil d’un sentiment de danger, mais aussi la possibilité de résister.
Les illustrations, fortes et subtiles, dessinent des scènes densément habitées. Le regard des personnages, les textures, les jeux de lumière créent une atmosphère où chaque regard compte : celui de la fillette, celui du loup, celui du lecteur. Pas de fioritures inutiles, mais une précision visuelle qui marque. Le contraste entre la pureté du rouge, les ténèbres enveloppantes et les formes humaines ou animales est mis au service d’un propos universel : grandir, affronter, se reconnaître.
Petit Chaperon parle moins de peur que de conquête : conquête de soi, de sa voix, de sa capacité à dire non. L’album ne promet pas une fin édulcorée, mais préfère montrer une héroïne qui se relève, qui refuse de rester passive, qui fait front. Le conte, revisité, devient le socle d’une émancipation nécessaire, d’une liberté arrachée à la peur.
Destiné aux jeunes lecteurs à partir de 6 ans, ou à tout adulte qui lit en silence ou à voix haute, Petit Chaperon est un livre qu’on regarde longtemps, encore après avoir refermé la couverture. C’est un miroir des peurs, mais aussi des forces qui sommeillent. Un chant pour qu’on ne se contente plus d’entendre, mais qu’on voit, qu’on ressent et qu’on se tienne debout.
Petit Chaperon, de Béatriz Martin Vidal, 22,90 euros, Editions Grasset Jeunesse