Béatrice de la Boulaye “Le cancer, c’est un deuil de la perception de toi invincible et invulnérable” 

Il y a cinq ans, l’actrice, tête d’affiche de la série Tropiques criminels avec Sonia Rolland et co-fondatrice de la troupe des Airnadette a combattu un cancer du sein. Un parcours qu’elle raconte sur le papier, sans jamais se départir de son sens de l’humour, dans un roman graphique qu’elle a conçu en tandem avec la dessinatrice Bénédicte Voile. Plus qu’un récit personnel, Mammo mia est une sorte de guide joyeux pour encourager les femmes à participer au dépistage organisé et épauler les personnes touchées par cette maladie.

Propos recueillis par Bénédicte Flye Sainte Marie

Pourquoi avoir opté pour un album de ce type plutôt que pour un livre-témoignage classique ?

J’avais réfléchi à une adaptation au cinéma, qui est davantage mon média. Avec mon metteur en scène, on a cogité, on voyait qu’il y avait un intérêt narratif à se dire “C’est intéressant, l’épopée de cette misogyne en thérapie qui va résoudre son problème de féminin avec le cancer du sein”. Il y avait quelque chose à raconter. Mais je n’avais pensé ni à en faire un roman ni un roman graphique. Lorsque Bénédicte Voile me l’a proposé, je lui ai répondu “Je n’y connais rien mais je te fais confiance si tu vois une histoire et un “moyen de”...”. Elle était fan des Airnadette, je savais qu’on avait le même regard, le même humour et la même esthétique. 

Comment avez-vous procédé avec Bénédicte Voile pour construire cet ouvrage ? Avez-vous réalisé des longues sessions d’entretiens ?

Oui, on a fait une première séance à Paris, puis en Vendée. Mais on ne parvenait pas vraiment à se mettre le coup de fouet. Alors, je lui ai dit “Ce sont les résidences d’écriture qui fonctionnent, lorsque tu sors de chez toi et que tu ne fais que ça. Alors, viens en Martinique”. Elle s’est déplacée sur le tournage de Tropiques criminels ; ce qui nous a obligées à nous concentrer. Bénédicte a tout structuré ensuite à partir de cette matière première. Elle me faisait valider des choses et j’étais épatée du peu de retouches à faire. C’était extrêmement fluide ! 

Daphné Burki, l’une de vos préfacières, explique dans Mammo Mia que vous vous étiez édifié, avant la découverte de votre cancer, une armure de misogynie et que la maladie vous a permis de découvrir la sororité. À quoi fait-elle référence ?  

J’avais une difficulté avec la gent féminine depuis des années à cause d’un harcèlement scolaire qui a eu lieu au collège et s’est reproduit par la suite. En l’analysant pour mon spectacle Héroïnes, j’ai découvert que la misogynie féminine était un phénomène assez généralisé et tu. La rivalité entre femmes est quelque chose de complexe. Elle taraude beaucoup de femmes qui sont mises en compétition par un système patriarcal. Or à force de la subir, on l’intériorise et on la reproduit !  C’est pour ça que je n’avais que des amitiés masculines, je me sentais moins menacée par les hommes que par les femmes. Le fait d’avoir ce cancer du sein, cette expression du féminin qui m’explose au visage, a conduit à ce que je sois entourée de femmes qui avaient traversé cette épreuve ou avaient de l’empathie pour ça. Ça m’a permis, à quarante ans, de me libérer de cette conviction et de les envisager avec beaucoup plus de tendresse. 

L’autodérision, très présente dans Mammo Mia où vous n’hésitez à montrer le ridicule de certains de vos comportements, a-t-elle été votre arme pendant cette bataille ?

Oui, c’est un peu mon mode de communication. Je suis le mélange du pragmatisme de ma mère et de l’humour de mon père. Du coup, certains ont cru que j’étais dans le déni. Mais je ne suis pas en fanfaronnade tout le temps. Et si j’avais cette approche, c’était plutôt dans ma manière de raconter les choses a posteriori.  

« Le but de ce livre, ce n’est pas que je m’épanche ou m’écoute parler mais effectivement qu’il serve à quelque chose, qu’il aide à se sentir moins seule »

Le livre a une dimension très pédagogique, avec de nombreux éclairages sur des termes médicaux.  Y avait-il une volonté d’en faire un vrai outil pour vos lectrices ?

Tous les petits encadrés que vous pouvez trouver dans le livre, ce sont les questions que Bénédicte s’est posées en m’écoutant. Elle s’est mise à la place du lecteur. Le but, ce n’est pas que je m’épanche ou m’écoute parler mais effectivement qu’il serve à quelque chose, qu’il aide à se sentir moins seule, qu’il soit accessible et rigolo pour que ça décomplexe et donne envie d’aller se faire dépister.  

On constate, en s’y plongeant, que les étapes à travers lesquelles on passe durant le cancer sont comparables à celles qu’on affronte lors de la perte d’un être cher, notamment la colère et l’acceptation... Avez-vous la sensation d’avoir dû faire le deuil de quelque chose ? 

Oui, c’est un deuil de toi, de ta perception de toi invincible, invulnérable et tu fais aussi le deuil d’un sein mais c’est symbolique parce que l’on renait derrière. C’est un nouveau départ, un nouveau soi qui, dans mon cas, s’est fait assez vite.

Une autre des dimensions intéressantes de Mammo Mia, c’est de voir à quel point ça a été délicat pour vous de “perdre votre identité” pour n’être plus qu’une patiente. Ce basculement est-il encore moins évident pour une artiste habituée à la lumière ?

J’ai été très peu patiente dans ma vie, dans les deux sens du terme, peu malade et ai peu fréquenté les hôpitaux. J’ai donc débarqué dans un milieu que je ne connaissais pas. Quand je suis arrivée pour la tumorectomie et ai réalisé que la dame de l’accueil ne savait même pas pourquoi j’étais là, j’ai trouvé ça fou, sachant qu’on allait m’enlever un bout de chair une heure plus tard... Donc ça m’a un peu violentée et je n’en veux pas au personnel médical qui fait ça toute la journée mais ça été un drôle de pli à prendre. L’autre difficulté, c’est que j’ai toujours eu beaucoup de contrôle sur ma vie. J'ai initié énormément de choses, produit, mis en scène. J’étais habituée à être aux commandes de tout et là, je n’étais plus aux manettes de rien et très vexée de n’avoir aucune prise. 

La vocation de Mammo Mia est-elle aussi de souligner également qu’on a la chance d’avoir en France d’avoir des dépistages institutionnalisés et qu’il ne faut pas passer à côté de ces dispositifs ? 

C’est ce que je dis aussi dans mon spectacle. On est tous pareil, on décale nos rendez-vous mais il ne faut pas. S’ils existent, c’est que les recherches scientifiques ont prouvé leur utilité. Et il vaut mieux prévenir que guérir...

Parmi vos dernières lectures, laquelle nous recommandez-vous ?

Fiascorama de Thomas VDB, parce que vous ne pouvez qu’éclater de rire en le parcourant. C’est très vivant ; on l’entend parler. Je trouve ça chouette qu’il ne fasse pas que de la scène et du cinéma. C’est chic et généreux de sa part de nous offrir aussi de la littérature et j’aime qu’on puisse le lire et le relire, par morceaux. 


Mammo Mia de Béatrice de la Boulaye et Bénédicte Voile, 16,95 euros, Editions First.  (Les droits d’auteur de Béatrice de La Boulaye reviennent à l’association nantaise Ma parenthèse qui accueille et accompagne les femmes atteintes par le cancer, dont elle est la marraine).




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