Michel Drucker: “Lorsqu’on passe à la télévision, le malentendu, c’est qu’on touche tellement de gens qu’on finit par croire qu’on a un pouvoir extraordinaire.”
Le plus illustre et inoxydable des animateurs télé français a décidé de passer de l’écran au papier et de livrer dans son autobiographie Avec le temps ses pensées et souvenirs sur sa trajectoire de vie, sa carrière et son regard bien moins lisse qu’attendu sur les lumières de son métier. Une autobiographie, préfacée par Nathan Devers, qui résonne comme une conversation dense et intimiste entre ses lecteurs et lui.
Par Bénédicte Flye Sainte Marie
La rédaction de cet ouvrage a-t-elle été motivée par la volonté de laisser l’empreinte de ce que vous êtes vraiment ? Et vous reflète-t-il davantage que les films qui ont été faits à votre sujet?
Je m’étais déjà beaucoup livré dans le documentaire et la fiction qui m’ont été consacrés. Mais au fil des années, avec les problèmes de santé que j’ai affrontés, il m’a semblé que c’était le moment de laisser une trace écrite, de boucler la boucle, de montrer au grand public qu’au-delà de cette image, il y a beaucoup d’interrogations, de solitude et d’angoisses. Je voulais également essayer de répondre à la question qu’on me pose constamment, que m’a posé d’ailleurs aussi le président Macron “Comment avez-vous fait pour avoir un parcours aussi long?”. C’est important aussi de dire que j’avais du recul là-dessus et que je n’étais dupe de rien...
Vous êtes l’une des personnalités les plus célèbres de France et côtoyez énormément d’artistes qui le sont aussi. Vous expliquez pourtant dans ce livre n’avoir aucune fascination pour le star-system. Qu’est-ce qui vous a immunisé contre cela ?
Parce que mes stars, ce sont le chirurgien qui m’a sauvé la vie et ma famille. Sans ce socle-là, je n’aurais pas eu cet itinéraire en restant intact. C’est important d’avoir autour de soi des gens qui vous disent la vérité et d’être capable de l’entendre, même si elle n’est pas toujours agréable à écouter. J’ai toujours voulu investir sur la durée, dans mon métier comme dans ma vie personnelle aussi et être un vieux marié, y compris à l’époque où j’ai rencontré ma femme ! Aujourd’hui, je suis heureux de ne pas m’être trompé et ne pas vieillir seul.
Avec le temps apparait comme une réflexion sur l’art de durer sans se perdre. L’avez-vous voulu et conçu ainsi ?
Lorsqu’on passe à la télévision, le malentendu, c’est qu’on touche tellement de gens qu’on finit par croire qu’on a un pouvoir extraordinaire, Mais il faut savoir que tout passe à une vitesse incroyable, que le public n’a pas de mémoire et que nous sommes sur des sièges éjectables. Ce qui m’arrive est certes miraculeux mais tout ce qui brille m’a laissé indifférent. Mes icônes à moi, c’étaient les joueurs de foot et les coureurs du Tour de France. J’ai tout appris par le sport, notamment l’humilité. C’est un juge de paix terrible.
À travers vos lignes, on perçoit que vous êtes parfois nostalgique mais jamais passéiste et que vous êtes constamment tourné vers le présent, notamment vers les artistes qui émergent. Qu’est-ce qui crée chez vous cet appétit ?
Parce que je me souviens de mes débuts. Il y a eu des personnes qui ont posé un regard bienveillant sur moi, m’ont encouragé alors que j’étais terrorisé. Je sentais que je voulais rester le plus longtemps possible dans ce métier car c’était une addiction. Ça en reste une et je la préfère à l’alcool et à la coke ! Par ailleurs, se rappeler ce qu’on a aimé, ce n’est pas de la nostalgie. Moi, je cherche à embrasser l’hier, l’aujourd’hui et le demain.
« Ce que l’on ignore de la réussite, c’est qu’elle s’accompagne de la peur de l’échec. »
Vous y évoquez vos parents, qui ne sont jamais départis de leur circonspection envers votre profession et de leur “inquiétude originelle”. Est-ce d’eux que vous tenez votre tempérament ultra-anxieux ?
J’ai effectivement eu une famille slave, compliquée, qui n’était pas douée pour le bonheur. Quand je me remémore mon enfance et mon adolescence, je pense à une atmosphère violente, assez cauchemardesque. J’en ai hérité cette angoisse que je garderai jusqu’à mon dernier souffle. “Nul ne guérit de son enfance”, comme le chantait Jean Ferrat. Mais c’est comme le cholestérol, il y a la bonne et la mauvaise et ça reste un stimulant. La veille des émissions, j’ai beaucoup de mal à dompter mon stress, même si ça ne se voit pas à la diffusion. Le problème, lorsque l’on s’installe sur la durée et qu’on est considéré, à tort ou à raison, comme une référence, on ne peut pas se permettre de décevoir. Ce que l’on ignore de la réussite, c’est qu’elle s’accompagne de la peur de l’échec.
Vous relatez dans Avec le temps une anecdote éloquente qui se déroule au moment où vous recevez la Légion d’honneur des mains de François Mitterrand...
C’était très émouvant pour ma maman, issue de cette gauche d’Europe de l’Est et naturalisée à l’époque du Front Populaire, que son fils soit récompensé par un président de gauche. Mitterrand lui a dit “Madame, vous devez être heureuse. Vous avez un fils énarque, un grand médecin et Michel, quel parcours ! . Elle lui avait répondu“ Je suis fière mais j’espère que la décoration accrochée à sa boutonnière sera enfin une manière de progresser” Mitterrand me regarde et me dit “Avec une mère pareille, vous n’aurez jamais la grosse tête !”.
Vous confiez osciller entre le souhait de ne pas faire la saison de trop et votre goût pour l’adrénaline de l’antenne. Comment tranchez-vous ce dilemme ?
Je suis passé par tous les états. Avant mes problèmes de santé, ma femme me disait “Tu ne vas pas devenir une caricature, tu vas avoir quatre-vingts ans ! ”. Plusieurs fois, j’ai été tenté d’arrêter et m’en étais ouvert à Delphine Ernotte et Stéphane Sitbon-Gomez, qui dirigent France Télévisions. Delphine m’a dit “Ça ne va pas, non ? Je serai partie que vous serez encore là !”. Je n’ai donc encore rien décidé. Sans la télé, j’aurais le loisir de lire tous les livres que je n’ai pas lus, d’aller plus souvent en Provence. Mais je sais qu’il ne faut jamais prendre une décision professionnelle ou personnelle quand on est fatigué. Et j’ai l’impression que tous ceux qui ont décroché sur une impulsion, un coup de tête, le regrettent.
Quelles sont vos lectures actuelles?
Je lis tous les jours une chanson d’Aznavour, qui était mon voisin en Provence. Et je suis actuellement dans Kolkhoze d’Emmanuel Carrère, où il dépeint la relation complexe et affectueuse qu’il a entretenue avec sa mère. Je comprends très bien ce qu’il éprouve. Mon père était un très grand médecin mais pas un bon père et un bon mari. À soixante-cinq ans, alors qu’il était l’une des grandes personnalités de sa région, il est parti avec une femme de dix-huit. Dans la France de Maupassant, celle où l’on regarde derrière le rideau, ça a été terrible à encaisser et j’ai beaucoup moins d’indulgence aujourd’hui pour lui que je n’en ai eu plus jeune. Et Kolkhoze montre justement qu’on ne voit pas sa famille avec les mêmes lunettes à vingt, trente ou cinquante ans...
Avec le temps, de Michel Drucker, préface de Nathan Devers, 19,90 euros, Éditions Albin Michel