“Littérairement, artistiquement, c’est tellement plus fort quand les choses, les histoires d’amour ne se font pas”

Propos recueillis par Bénédicte Flye Sainte Marie

Après le virtuose Soldat désaccordé couronné par une vingtaine de prix littéraires, l’écrivain nous offre avec Les promesses orphelines un nouveau roman-joyau autour d’un train futuriste sans avenir et de Gino, un héros qui n’a pas su donner corps à ses grandes ambitions mais a inscrit à sa petite échelle son nom dans l’épopée des Trente Glorieuses.

Par sa candeur, son désespoir joyeux, son langage très singulier, Gino rappelle un peu Momo, le héros de La vie devant soi. Avez-vous souhaité l’inscrire dans cette filiation ?

Je ne sais pas si c’est une démarche volontaire, si c’est inconscient ou si ça résulte de mes lectures. J’ai énormément aimé Romain Gary ; je ne crois pas avoir déjà été déçu par un de ses livres et il fait partie des auteurs qui ont nourri ma vocation. Peut-être est-ce aussi parce que nous avons les mêmes intérêts et goûts, un regard commun sur le monde. Une certaine innocence également, qui peut être par moments de la poésie mais qui n’est pas misérabiliste, ni donneuse de leçons ni dans l’angélisme car je peux être assez dérangé par le fait d’enchanter quelque chose de dégueulasse. Je ne suis donc pas surpris qu’on retrouve ça dans mon écriture

L'arc narratif que vous développez autour de l'Aérotrain, fil rouge de ce roman, est-il venu se greffer sur l'histoire de Gino ou c'est le contraire qui s'est produit ?

L’Aérotrain et la notion de rêve brisé sont arrivés en premier. J’avais vu ce vestige archéologique contemporain qui se dresse tel un squelette sur dix-huit kilomètres. Quand on m’a expliqué que c’était, j’ai effectué quelques recherches et suis passé à autre chose. Mais j’avais l’impression de voir un fantôme ; cette idée me hantait. Or, je n’ai pas connu Jean Bertin, l’ingénieur qui l’a conçu. J’aurais pu lui consacrer une biographie mais je suis très respectueux de la vérité historique et ne voulais pas inventer ce qu’il a dit à sa femme, ses enfants, ses ouvriers, ce qu’il a pensé et éprouvé. J’ai donc décidé d’imaginer l’histoire de quelqu’un qui a travaillé pour lui et à partir de ce moment-là, j’avais une liberté totale. On ne saisit pas ce qu’est l’Aérotrain si on ne comprend ce qu’étaient les années 50 et 60. C’était l’époque où tout va plus vite, plus fort, les débuts de l’hyperconsommation et c’est intéressant de voir à la fois ce miracle et le début de la destruction qu’elle engendre.

Ce train qui ne démarre jamais n’est-il pas une allégorie de l'existence de Gino, elle aussi est demeurée dans une forme de surplace alors qu'elle aurait pu se développer autrement ?

Gino est plein de rêves mais comme tous ceux qui en ont beaucoup, il réalise qu’il ne peut pas tous les réaliser. Alors, il les adapte, avance au jour au jour, il a une espèce de boussole mais parfois, évidemment, il tombe. Certes, il reste souvent à quai mais c’est le cas de beaucoup de gens. Et j’avais justement envie de rendre hommage à ceux qui, comme lui permettent à ceux qui sont dans la lumière d’être éclairés. C’est comme en littérature, il y a notre nom sur la couverture mais c’est le fruit du travail de beaucoup de personnes. On est dans un monde d’anonymes. J’avais envie que Gino incarne cet univers-là et qu’il apprenne à en être fier, à se contenter de ce qu’il fait.

« Si mes livres fonctionnent, je crois que c’est parce que mes personnages ont toujours des cicatrices, des problèmes non résolus. »

Est-ce plus intéressant d'imaginer des héros un peu passés à côté de leur vie que de dépeindre des vainqueurs ? Y-a-t-il davantage de profondeur et d'épaisseur chez eux ?

Oui, j’ai un souvenir plus fort de la Coupe du Monde de 2006 et du coup de tête de Zidane que de 1998 par exemple. Je ne sais pas trop gérer les gagnants. Si mes livres fonctionnent, je crois que c’est parce que mes personnages ont toujours des cicatrices, des problèmes non résolus. Littérairement, artistiquement, c’est tellement plus fort quand les choses, les histoires d’amour ne se font pas.

S'attache-t-on, en tant qu’auteur, à faire naitre des personnages en marge parce qu'on se sent soi-même un peu inadapté ? Et l'écriture aide-t-elle à se sentir plus ajusté au monde qui nous entoure ?

Ça dépend être inadapté à quoi et ce qu’on entend par inadaptation. Est-ce qu’on cherche à se réparer soi ou à réparer le monde ? Je pense que c’est un mélange des deux. L’écriture nait forcément d’une insatisfaction ou a des allures thérapeutiques. Elle permet également de combler des vides. Est-ce que ça permet de se recentrer ? Je ne crois pas ; on y trouve au contraire la place de notre réalité, une réalité où l’on décide de qui meurt quand, si on est aimé en retour et ça change beaucoup de choses. C’est grisant et ensorcelant....

Pourquoi avoir inséré des réclames d'époque dans ce livre ? Parce qu'elles aussi font des promesses que la vie ne tient pas, pour mentionner à nouveau Romain Gary ?

C’est super bien vu ! Je n’avais pas pensé à ça mais je m’en resservirai et dirai que j’ai une intuition pendant une interview (rires). Et c’est vrai que les publicités font des promesses qu’elles ne tiennent pas. Mais c’était surtout pour évoquer l’époque. Les gens me disent qu’on entend les fameuses voix nasillardes en me lisant ! En termes de décor, je trouvais ça important sur ce que ça racontait de cette période. Il y avait une espèce d’émulation et d’excitation ; on était dans une espèce de course au toujours mieux. Aujourd'hui, rien n'a changé : on arrive à nous faire croire qu’il nous faut non seulement un téléphone mais le dernier.

Avez-vous conçu la figure de La Vieille Tante, qui n'est en réalité ni âgée ni dotée d'un lien de parenté avec Gino, à la fois pour qu’elle soit à la fois un être qui amène de la gaité et de l'humour et une passeuse, qui offre une ouverture sur l’actualité, les livres et l'ailleurs ?

Elle incarne la vraie modernité, à côté de celle de l’ingénierie et de la consommation, celle des idées, de la musique, de l’orientation sexuelle. De manière consciente, elle est là pour amener un regard culturel sur l’époque ainsi que de la légèreté. Elle sauve la famille de Gino sans forcément s’en rendre compte et sans se plaindre de ses manques à elle. Elle ne cannibalise rien et sait s’éclipser. Je me suis donc vraiment régalé à l’écrire.

Une autre protagoniste revient, façon running-gag, dans le récit, à savoir la Dame de l'Institut Français de l'Opinion Publique, qui évalue le niveau de bonheur des gens. Était- ce pour montrer l'incongruité d'une société où tout doit se mesurer ?

Oui, c’est d’autant plus agaçant qu’on est souvent amené à noter des choses qu’on ne maitrise pas ! Je n’ai pas un avis sur tout et pas envie de le donner. Mais ce personnage pose aussi une question à laquelle les gens de l’époque n’étaient pas habitués. Elle les déstabilisait parce que le bonheur était alors quelque chose de privé.

À LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format poche. Quel ouvrage de ce type nous recommandez-vous ?

Pour le poche, je triche un peu car je pense au livre de Cookie Mueller, Fan Mail. Je triche parce qu'il n'est pas loin du prix d'un livre de poche, qu'il est chez un éditeur qui fait un travail formidable (Finitude) et qu'il n'est pas très épais (47 pages) ... Et donc il est tout à fait probable qu'il tienne dans une poche mais je n'ai pas le livre sur moi pour pouvoir l'essayer ! Il est rare de rire en lisant un livre et ça a été le cas avec ce texte épistolaire. Irrévérencieux, fantaisiste, drôle... Ça se lit comme un shot de ce que vous voulez, mais de préférence un alcool bien fort et pas trop distingué.

Les promesses orphelines, de Gilles Marchand, 20 euros, éditions Aux Forges de Vulcain

Suivant
Suivant

Béatrice de la Boulaye “Le cancer, c’est un deuil de la perception de toi invincible et invulnérable”