Sophie Astrabie “Quand j’écris, j’ai l’impression d’être une autre personne, comme si j’étais habitée”

L’autrice, qui publie son sixième roman en huit ans, nous livre avec Le secret de Jeanne, un opus vif et sensible qui jette des ponts entre les époques et entrecroise les parcours de Jeanne, une adolescente qu’un drame conduit à s’installer à Paris à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, de Nicole, qui est jeune adulte dans les seventies et Alexandra, dite Alex, qui apprend en 2013 que son père, qu’elle croyait mort depuis dix-sept ans, vient de décéder. Des liens vont progressivement se tisser entre ces héroïnes aux vies entravées et aider certaines d’entre elles à se délester du poids des choses tues.   

Propos recueillis par Bénédicte Flye Sainte Marie 

Quel a été le catalyseur de l’écriture de ce livre et pourquoi avez-vous décidé de l’articuler autour de trois protagonistes qui s’inscrivent dans trois temporalités différentes ? 

À la base, l’idée m’est venue à la lecture d’une affaire judiciaire dans laquelle une rumeur sur la présence d’un trésor - dont on n’était même pas sûr qu’il existait- avait détruit toute une famille. Cela montrait comment un choix minuscule peut impacter plusieurs générations à la manière d’un château de cartes...   J’ai remplacé ça dans Le secret de Jeanne par un tableau, parce que je trouvais que ça permettait d’aborder le récit plus subtilement, que cela créait davantage de tension et que cela permettait d’aller plus loin dans l’histoire et dans l’exploration de la féminité. Mais je ne savais pas au départ qu’un effet-papillon se créerait entre mes personnages...

Avez-vous souhaité faire la "peinture" de toutes les entraves qui ont empêché et continuent parfois d'empêcher les femmes d'embrasser pleinement leur vie, leur carrière, leur sexualité ? 

Il me semble moins difficile de m’exprimer à travers ce que j’invente que de parler de moi. Je ne suis pas forcément capable, dans mes romans, de dire tout ce que je pense mais il faut croire que cela transparait quand même. De toute façon, quand j’écris, j’ai l’impression d’être une autre personne, comme si j’étais habitée.... Du moins quand je me relis, j'ai parfois du mal à me reconnaître ! 

Utiliser la fiction, comme c'est ici le cas dans le Secret de Jeanne, pour pointer ces obstacles que rencontrent les femmes dans la réalisation d'elles-mêmes, est-il une démarche féministe ? L'avez-vous voulue comme telle ? 

On me le dit en tout cas souvent. Mais pour moi, ce n’est pas féministe, c’est réaliste. Jeanne vit à une époque où, à cause de la guerre, les femmes tiennent les rênes du quotidien, Nicole devient adulte à l’époque de la légalisation de l’avortement. Pour moi, s’il n’y avait pas ce genre d’histoires dans les romans avant, c’est tout simplement parce que les hommes ne s’y intéressaient pas...C ’est juste un livre écrit du point de vue d’une femme.

« C’est comme le négatif d’une photo : ce sont les zones d’ombre qui créent ce qui est visible et laissent apparaître ce que nous sommes »

Le propos de ce roman est-il aussi de dire qu'en levant la chape du silence, on peut en même temps se réparer et réparer les autres ? 

En tant que maman, je me rends compte qu’on opte souvent pour le non-dit plutôt que pour la vérité. Je ne sais pas pourquoi on fait ça et ça m’intéresse de traiter le sujet.  C’est comme le négatif d’une photo : ce sont les zones d'ombre qui créent ce qui est visible et laissent apparaître ce que nous sommes. Or, lorsqu’on ne vous explique pas les choses, vous vous les imaginez. Ce sont des croyances auxquelles on s’accroche et on réalise un jour que tout ce autour de quoi on a pu se construire était faux. Et je crois que nous sommes les premières générations à vouloir faire voler ces secrets en éclats.

La maternité occupe une place importante dans votre vie. Pourtant, c’est la première fois qu’elle occupe aussi un espace aussi conséquent dans l'un de vos livres. Est-ce parce que, paradoxalement, c'est une thématique qui vous intimidait? 

Je n’ai pas l’impression que ça occupe une place si énorme que ça dans ma vie. Pourtant, quand je pense à des nouvelles idées de roman, ça tourne souvent autour de ça. Je pense qu’on a toujours une conception assez archaïque ou basique de la mère alors qu’on trouve aujourd’hui beaucoup de nouvelles parentalités et j’ai envie d’écrire sur ça.

La rédaction de ce livre a-t-il nécessité un gros travail de documentation et si oui, comment avez-vous procédé ? Vous êtes-vous intéressée à la psycho-généalogie ? 

J’ai écouté des podcasts d’histoire, j’ai lu aussi beaucoup de livres sur la vie quotidienne, Et j’ai énormément utilisé Retronews: j’ai adoré par exemple consulter dans la presse les faits-divers et la rubrique des objets perdus. C’est incroyable comme ressource parce que ça permet de saisir l’époque. C’est la première fois que je m’appuie sur la réalité pour écrire un roman et j’ai découvert que le fait par exemple de connaitre la météo le jour où je situe l’une de mes scènes est une sacrée béquille pour la fiction ! 

Le secret de Jeanne parait marquer un virage dans votre parcours d'autrice. Est-ce qu'en gardant l'humanité qui a toujours caractérisé votre plume, vous avez envie d'évoluer vers des histoires plus sombres, dramatiques, de les ancrer aussi davantage dans leur temps ? 

Comme l’immense majorité des auteurs, je ne suis pas allée à l’école des écrivains. Dans mes premiers romans, je maitrisais ce qui touchait à mes personnes mais sur le scénario, j’y parvenais moins bien. Depuis, j’ai beaucoup lu, j’ai évolué dans ma vie. Et j’ai atteint une forme de maturité dans mon écriture qui fait que je me sens aujourd’hui apte à le faire. 

À LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format poche. Quel ouvrage de ce type nous recommandez- vous ?

Je vous conseille Les petites reines de Clémentine Beauvais, un roman magnifique et drôlissime qui, au départ, est un livre jeunesse mais qui a finalement été édité pour les adultes tant il a conquis tous les publics


Le secret de Jeanne, de Sophie Astrabie, 21 euros, Éditions Flammarion.

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