Sébastien Paci ,“Je continuerai à écrire selon mes envies, sans la volonté impérieuse d’entrer dans une case”
Après avoir jeté des passerelles entre les époques, autour du personnage de Mozart, dans ses trois premiers opus Tombé du ciel, Le ciel attendra et La colère du ciel, l’auteur lorrain nous livre avec Bloody mafia un roman plein de fougue et de noirceur dans lequel s’entremêlement en un ballet oppressant des membres de la pègre albanaise, le directeur de l’Etablissement français du sang et des flics englués dans leurs affres personnelles...
Propos recueillis par Bénédicte Flye Sainte Marie
La rédaction de Bloody mafia puise-t-elle son inspiration dans un fait-divers précis ?
Après avoir conclu ma trilogie, j'étais très angoissé par le possible manque d’inspiration. Jusqu’au jour où, par hasard, certainement en promenant mon chien, une idée m’est apparue grâce à des informations piochées à la volée, sur la question des sangs rares et de la tension continue sur les stocks de sang. Mais je n’avais pas le projet d’écrire un polar. Dans le cadre d’un roman à la tonalité sombre, je voulais faire vivre des personnages qui me permettraient d’aborder des thèmes qui me tiennent à cœur, la pédocriminalité, la dépression, la résilience, l’homophobie, la complexité de la psyché humaine.
Dans votre histoire, beaucoup de dimensions, notamment médicales et géographiques, nécessitaient d’être documentées. Comment avez-vous procédé pour rassembler la matière nécessaire au récit ?
Le travail préparatoire est chez moi fondamental. Je suis incapable de me lancer sans que je sois rassuré par mes recherches et par l’élaboration de l’architecture narrative générale. J’ai donc enquêté auprès des professionnels de santé, réalisé beaucoup de lecture de rapports de police et aussi prospecté via internet. Je compile tout cela sur des feuilles volantes, des post-it, des carnets… Il faut des fondations solides pour commencer à bâtir un univers fictionnel.
« “Il faut des fondations solides pour commencer à bâtir un univers fictionnel” »
Vos personnages ont tous ou presque tous, même les plus antipathiques, une étincelle d’humanité. Est-ce une dimension que vous veillez à leur donner ?
Pour certains comme Mirjan Hohxa, elle est profondément enfouie et on a du mal à la détecter. Mais elle existe, je crois, en chacun de nous, même chez le pire des salauds. Dans mes textes, tout est symbole et le symbole s’accommode mal du tout blanc ou du tout noir. J’apprécie la nuance tout comme j’abhorre le simplisme populiste.
Bloody mafia s’illustre par son rythme et la “nervosité” de sa construction. Élaborez-vous vous vos romans comme on concevrait un long-métrage ?
Celles et ceux qui ont lu mes romans me disent qu’on les imagine adaptés à l’écran, en films ou en séries. C’est vrai qu’ils sont construits selon le procédé du cliffhanger qui laisse le lecteur/la lectrice en attente. Et mon écriture est effectivement nerveuse et très « visuelle ». Cela provient d’une préparation très scrupuleuse, presque maniaque, de la structure globale du texte et de la volonté de poser un décor, une ambiance... Tout est calibré et pensé en amont même s’il n’est pas impossible qu’en cours de route un tempo particulier s’impose à moi. Mais c’est rare. Maintenant, j’attends avec impatience qu’un producteur ou un réalisateur se penche sur mes romans : je suis prêt à monter les marches du festival de Cannes (rires) !
Êtes-vous un auteur poreux à ce qui se passe dans le monde et la société ?
C’est évident. Mais en tant qu’écrivain, j’ai l’impression que mon travail en est déconnecté. C’est au hasard de mes lectures et rencontres que sédimente une intuition qui va devenir au fil du temps un argument d’écriture. Pour mon premier roman, Tombé du Ciel, c’est en lisant une biographie de Mozart qu’est née l’idée de mettre en lien les circonstances de sa mort avec les événements qui secouaient la France à la même époque. Mais, en dépit de nombreuses tentatives, ce n’était pas suffisant. C’est quelques années plus tard, en lisant un article sur la compositrice Rosemary Brown qu’un déclic a eu lieu et que son scénario s’est établi. Cela dit, même si je ne suis pas un écrivain militant ou engagé, j’aime faire passer des messages sur des sujets qui me tiennent à cœur.
La période de tête-à-tête avec votre livre est-elle plus jubilatoire que la suite ? La parution est-elle uniquement une joie ou aussi un petit deuil ?
Je suis du genre à accoucher dans la douleur. J’écris tous les jours (ou presque) mais le texte avance lentement ! Je peux passer une semaine sur un paragraphe… Je relis jusqu’à l’indigestion, corrige et dégraisse sans cesse. Une fois que le livre existe comme objet, c’est plutôt une libération. Mais il y a quand même l’angoisse de savoir si on va l’aimer et le dispositif de promotion qui se met en place, avec les rencontres en librairie, les interviews, les salons, les week-ends loin de la famille… La récompense, c’est le retour des lecteurs et lectrices, de vive voix ou via les réseaux sociaux.
Depuis le début de votre carrière, vous êtes aventuré, tout en restant dans le polar au sens large, dans des univers assez différents. À quoi obéit cette volonté de “voyager” en littérature ?
Je n’aime pas les catégorisations, assez stériles. Je ne saurais définir ce qu’est Bloody mafia : un roman policier ? Pas seulement. Un roman noir ? En partie. Une romance ? Effectivement, il y a une histoire d’amour… En fait, c’est juste un roman contemporain avec de l’action, de l’amour, une intrigue policière et beaucoup d’autres choses. L’autre problème de ces classifications, c’est qu’on valorise les livres de manière différente selon le genre qu’on leur attribue. Or, ce qui compte, c’est la qualité de l’écriture, l’intérêt de l’histoire, la façon dont est conduite la narration. Mais il y a un catalogage qui m’exaspère davantage encore : celui des auteurs qui seraient locaux, régionaux, nationaux, du terroir… Là aussi, c’est discriminant et inopérant. Alors, je continuerai à écrire selon mes envies, sans la volonté impérieuse d’entrer dans une case.
Certains écrivains ou écrivaines sont-ils des exemples absolus pour vous ?
Il y en a beaucoup dans mon panthéon littéraire. Deux s’en détachent peut-être parce que leurs textes ont provoqué en moi un choc émotionnel. D’abord Pierre Michon que j’ai découvert avec ses Vies minuscules pendant mes études de lettres… Je suis tombé en amour de sa langue. Et puis, bien sûr, Annie Ernaux. Son livre Les Années, je l’ai offert à tout mon entourage et continue à le faire. C’est magistral dans l’épure.
À LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format poche. Quel ouvrage de ce type nous recommandez-vous ?
Sans hésiter, Ce que je sais de toi d'Éric Chacour, paru chez Folio. On y suit l’itinéraire de vie d’un médecin dans le Caire des années 80 jusqu’à l’aube du XXIème siècle sur le continent américain. C’est l’histoire d’une absence et d’une réconciliation qui raconte aussi la transformation d’une société et la complexité des liens familiaux. C’est prodigieux. Et c’est un premier roman !
Bloody mafia de Sébastien Paci, 23 euros, Éditions Territoires Témoins / Collection Borderline