Gilles Laporte : “Dans tous mes romans, ce sont les femmes qui guident, élèvent et initient les hommes en les invitant à emprunter leur pas”
Avec Le goût des mûres sauvages, l’écrivain passionné d’histoire brosse le portrait sensible d’une femme sur près de quarante ans, partagée entre sa passion pour la danse et son attachement à la terre. A travers le personnage de Loane, Gilles Laporte célèbre le courage des femmes du monde rural et leur capacité à embrasser les questions de progrès et de changement dans une société en mutation.
Propos recueillis par Odile Lefranc
LMQPL : Le Goût des mûres sauvages est inspiré d’une histoire vraie. Comment avez-vous abordé cette vie en roman ?
Il est né d’une histoire vécue, celle d’une amie, partagée entre danse et paysannerie. Après la mort de son mari, elle avait un choix à faire, entre reprendre seule l’exploitation familiale et revenir à sa passion première. Par fidélité, elle a choisi de faire vivre la terre. Elle m’a raconté les combats qu’elle a menés pour être reconnue comme exploitante dans un monde rural dominé par les hommes, pratiquer une agriculture respectueuse de l’environnement, et préserver une chapelle templière. Je me suis appuyé sur cette réalité pour créer le personnage de Loane, que j’ai faite bretonne. Ensuite, j’ai créé des passerelles entre la Bretagne et la Lorraine. C’est là que commence mon travail de romancier.
LMQPL : Votre roman joue beaucoup sur les oppositions : Bretagne et Lorraine, danse et terre, père militaire et fille artiste… Était-ce voulu dès le début ?
Je parlerais plutôt de complémentarités. Fils d’ouvriers des Vosges, je ne connaissais que mon village jusqu’à ce que je découvre la Bretagne en colonie de vacances à Dinard. Un auteur m’a dit un jour : « Vous, Vosgiens, êtes les frères celtes des Bretons. » Et j’ai découvert qu’il y a un lien profond entre ces terres. Pour Loane, la danse et la terre ne s’opposent pas, elles fusionnent, comme Isadora Duncan le voulait en mêlant le tellurique et le cosmique. Pareil pour le père militaire et la fille artiste : l’un espère un monde qu’il ne connaît pas ; l’autre s’impose un cadre pour mieux s’exprimer. La liberté et l’enracinement ne sont pas antagonistes. On passe sa vie à nourrir sa liberté de ce que les racines nous ont transmis, et à alimenter ces racines en sucs tirés d’autres sols et horizons.
« “C’est ça, ma Lorraine : une terre de fraternité, d’accueil, de partage. C’est ce visage-là que je veux montrer” »
LMQPL : Depuis dix ans, la Lorraine a été dépeinte dans divers romans, portés d'ailleurs à l'écran, comme une terre de déshérence sociale et un creuset de violence. Avez-vous cherché à prendre le contrepied de cette vision et à en offrir une qui soit beaucoup plus positive ?
La Lorraine est souvent présentée comme un immense cimetière militaire, un champ de batailles qui synthétise tous les théâtres d’affrontements du monde. On la considère comme la ruine industrielle la plus tragique de notre temps. J’ai envie de dire combien elle est résiliente, combien elle a su survivre aux envahisseurs, aux guerres, au déclin économique. C’est la région la plus martyrisée de France, et pourtant… elle est capable de transmettre la lumière, l’amour. C’est ça, ma Lorraine : une terre de fraternité, d’accueil, de partage. C’est ce visage-là que je veux montrer.
LMQPL : L’émancipation des femmes du quotidien vous tient-elle particulièrement à cœur ?
Je ne supporte aucune injustice et celle qui frappe les femmes depuis l’origine de l’humanité m’est insupportable. Comment se prétendre défenseur de la devise républicaine si l’on ne fait pas toute sa place à la femme ? J’ai beaucoup travaillé sur la franc-maçonnerie qui se voudrait lieu exemplaire de respect de l’autre, et j’ai découvert que, même là, les femmes en sont encore exclues de quelques obédiences. Ecarter la femme du champ social est pour moi une aberration. Dans tous mes romans, ce sont les femmes qui guident, élèvent et initient les hommes en les invitant à emprunter leur pas.
LMQPL : Puisqu’on évoque les femmes, il semble, en regardant l’ensemble de vos ouvrages, qu’elles ont davantage nourri votre imaginaire que les personnages masculins. Leur trouvez-vous quelque chose de plus romanesque ?
De plus puissant, surtout. La femme détient, à mes yeux, le pouvoir essentiel : elle incarne la réalité de l’être, l’Esprit, la Lumière. La jalousie, le désir, la volonté de possession sont des ressorts masculins qui deviennent romanesques sous la plume d’auteurs inspirés par le monde des ténèbres. Ce qui m’importe, c’est la force de la femme, sa capacité à guider l’homme, à toujours qu’il accepte de la suivre. Modestement, par l’écriture, j’essaie d’inviter à emprunter ce chemin qu’elle ouvre à tous les hommes de bonne volonté.
LMQPL : Comme votre héroïne, vous avez eu mille vies, mille métiers et votre carrière s'est ramifiée dans des directions très différentes. Est-ce cela qui vous a rapproché de Josiane Hamann, l'amie qui vous a inspiré ce livre ?
C’est la poésie qui m’a rapproché de Josiane. J’avais monté autrefois un spectacle qui mariait mes textes poétiques et la musique, et un jour, elle m’a proposé d’y associer la danse. On a cheminé ensemble et nos parcours diversifiés ont nourri nos démarches.
LMQPL : Dans l'ensemble de votre œuvre, l’Histoire occupe une place centrale, des détails du quotidien au contexte social et politique. Quel est, pour vous, le point de départ d’un récit ?
Le point de départ de mes romans, c’est toujours une vie de femme et le partage de ses expériences. Mes héroïnes, comme tous mes héros de roman, sont ancrées dans leur époque, dans une Histoire qui se construit sans cesse, comme Loane dans l’après-68 et les Trente glorieuses. L’Histoire est un personnage comme les autres dont je tente de restituer tout le souffle.
LMQPL : Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?
Je viens de publier Feu, dernier tome d’une tétralogie commencée en 2005. Et je corrige les épreuves de mon prochain roman, Le Rouet de Jeanne, qui sortira fin août.
LMQPL : À LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format poche. Lequel nous recommanderiez- vous ?
Sans hésiter La Nuit des temps de René Barjavel qui, durant les convulsions des années 1968-75, a libéré mon regard d’auteur naissant. Sa Lumière nourrit toujours mon travail d’ouvrier des Lettres. J’aurais pu citer aussi, à égalité, pour leur compagnonnage permanent : Don Quichotte, de Cervantes, reçu pour prix de lecture au cours élémentaire première année… sa quête de la Dulcinée à l’origine de ma passion littéraire, et La Mare au diable, de George Sand), cette chère George qui est l’un de mes anges gardiens comme elle le fut de Chopin...
Le goût des mûres sauvages, de Gilles Laporte, 22 euros, Éditions Presse de La Cité-Terres de France