“La forêt de flammes et d’ombres”, le feu discret des sentiments

Par Pablo Flye

Cinq ans après Ame brisée et deux après Suite inoubliable, l’écrivain japonais Akira Mizubayashi fait se rencontrer l’univers de la musique classique et le monde de la peinture dans un roman où la puissance salvatrice de l’amitié, de l’amour et de l’art permet de transcender les pires blessures.

Violons d’Ingres d’Akira Mizubayashi, les instruments à cordes ont une place de choix dans ses inspirations littéraires, d’Ame brisée à Suite inoubliable, en passant par Reine de cœur. Mais leur mélodie se superpose ici avec le ballet des pinceaux. Portant le nom d’une série de tableaux réalisée après la Seconde guerre mondiale par les peintres Iri et Toshi Maruki autour de l’apocalypse provoquée à Hiroshima par la bombe atomique, le nouveau livre de l’auteur décrit la relation entre trois personnages, Ren et Yuki qui suivent le cursus des Beaux-arts et Bin, qui étudie le violon. Mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale d’abord comme artiste officiel puis comme soldat, Ren en reviendra infirme, après une amputation des deux avant-bras, et défiguré. Ce qui n’empêchera pas Yuki d’unir son destin au sien et de l’encourager à trouver d’autres moyens de s’exprimer sur la toile. Quand Ren mourra ensuite, Yuki s’installera à Paris et pourra s’appuyer sur Bin, qui a toujours été épris d’elle, pour rebâtir sa vie et donner une postérité à l’œuvre de Ren.

En quelques centaines de pages qui se lisent d’une traite, Akira Mizubayashi nous permet de suivre une famille sur trois générations, à Tokyo puis à Paris, au fil de leur construction qu’infusent les traumatismes de la guerre. Entre séparations, vocations brisées et une histoire d’amitié des plus intenses, on ne peut que se passionner pour ces héros tragiques.

Le roman est rythmé par les notes de Beethoven et Mendelssohn qui viennent mettre en poésie la douleur et l’immense force de réparation de Ren Mikuzi, ressentie tour à tour par lui, puis comme un héritage par sa femme, son ami d’enfance, sa fille et sa petite-fille.

Entre les chapitres narrés, on découvre les journaux intimes des différents protagonistes qui se répondent et tissent un récit complexe, fait de regards complémentaires. Dans une société nipponne où la retenue semble être de mise et où l’affection ne se perçoit qu’à travers de distantes manifestations, le témoignage des différentes personnes est très éclairant sur le poids de leurs ressentis.

L’auteur japonais, qui écrit en français, confirme son statut de maître des émotions, dont l’évocation ne laissera personne indifférent. Comme dans ses précédents opus, ils sont aussi l’occasion de (re)découvrir une page du répertoire musical classique, au même rythme que les protagonistes.

La forêt de flammes et d'ombres, d’Akira Mizubayashi, 21 euros, Editions Gallimard

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