“Le mode avion”, une langue bien pendue
Par Bénédicte Flye Sainte Marie
Dans ce roman plein de verve et d’humour sorti il y a quelques mois dans sa version poche, Laurent Nunez nous fait partager la drôle d’odyssée de deux linguistes que leur recherche de la théorie parfaite conduit à se couper du monde et à s’éloigner l’un de l’autre.
Comme les Dupont et Dupond des albums d’Hergé, Etienne Choulier et Stefán Meinhof, les héros du Mode avion sont jumeaux sans être jumeaux. Tous deux très jeunes, même si le premier l’est un peu moins que le second, ils ont en commun leur métier de professeur de grammaire à la Sorbonne et éprouvent la même indifférence envers ce qui motive leurs semblables, notamment l’amour, la notoriété ou la perspective de faire fortune. Non, ce qui rejoint ces esthètes, outre le fait de “voir le langage”, quand le commun des mortels ne fait que le lire, le parler et l’entendre, c’est la volonté farouche d’accoucher dans leur domaine d’un concept que jamais personne n’aura jamais pensé à imaginer avant eux. Nantis de leur ambition et d’un certain complexe de supériorité, nos enseignants décident que leur intelligence est trop mal employée auprès de leurs élèves, des “braillards”, de leurs collègues, qualifiés de vulgaires “répétiteurs” et quittent l’université en 1935 pour s’installer à Fontan, le village du narrateur, une petite commune des Alpes-Maritimes située à la frontière avec l’Italie.
D’abord pris dans une folle émulation et épanouis dans un quotidien spartiate mais heureux, les comparses vont peu à peu sombrer dans la morosité face à cette idée géniale qui n’arrive pas, qui se tapit dans leurs méninges sans qu’ils n’arrivent à l’expulser. Mais un jour, la lumière se fait ; Choulier définit le concept de “précision chrono-linguistique", sur la façon dont on énonce l’heure. Le début de la fin de leur amitié puisque Meinhof vit très mal que Choulier ait eu l’étincelle tandis que lui patauge toujours dans les ténèbres. Puis c’est à son tour de Meinhof de toucher au but avec son “appel d’air linguistico-sexuel". Rien ne sera néanmoins plus pareil entre les deux hommes qui finiront par se détester. A force de vouloir marquer leur siècle, ils seront aussi et surtout complètement passés à côté de ce qui agite leur temps, à savoir la Deuxième guerre mondiale.
Mini-bûcher des vanités en version rurale, ce Mode avion cultive le paradoxe de raconter une histoire désolante avec gourmandise et drôlerie. Laurent Nunez y montre la vacuité de la recherche universitaire quand elle oublie de se connecter au réel, lorsqu’elle n’existe que par elle et pour elle-même. D’où peut-être le titre du livre ! A l’opposé de ce que font ses personnages qui triturent les mots de manière assez stérile, Laurent Nunez, qui les chérit, sait les magnifier et nous offre un roman aussi pétillant que brillant. Son érudition n’est pas un prétexte pour se placer au-dessus des gens mais au contraire pour créer des ponts avec eux.
Le mode avion, de Laurent Nunez, 8,70 euros, Rivages Poche