“La reine des neiges”, un hiver dans le cœur

Avec La reine des neiges, on renoue avec Béatrice Hammer, l’autrice du très subtil Ce que je sais d’elle. Dans un texte original sur celle qui l’a mise au monde, elle réinvente la veine autobiographique. Très personnel, son récit pourra néanmoins aider chacun à cerner les inévitables ambivalences de sa relation à sa mère.

Par Marceline Bodier 

Il était une fois une femme née il y a un siècle, intelligente et éduquée, mariée, mère de trois filles. « Que serait-elle devenue, si elle ne s’était pas mariée ? Comme elle était brillante, elle aurait monté les échelons, aurait fini avec un bon salaire, et sans doute un peu de pouvoir. », nous explique-t-on dans La reine des neiges. Elle a pourtant fait le choix inverse. Vous croyez que c’est le fruit d’une domination masculine ou d’une abdication féminine ? Ici, les choses ne sont pas aussi simples. « Ma mère a donc choisi sa vie, nous ne reviendrons pas dessus. Mais on peut se choisir une vie qui ne nous convient pas. », confie la narratrice de ce livre.

C’est aussi l’histoire de l’autrice, qui s’ouvre sur une phrase qui donne le ton : « Ma mère est morte il y a quinze ans. Je n’ai pas été triste ». Mais pourquoi donc, puisque cette maman avait consciemment choisi de mettre sa vie de famille au centre de ses préoccupations ? Les photographies n’en montrent-elles pas une image parfaite, réunissant l’épouse « belle comme une actrice de cinéma », son mari et leurs adorables filles ?

Pour comprendre, il faut se rappeler le conte de la reine des neiges, celui d’Andersen. Un enfant y reçoit un éclat du miroir du diable dans le cœur et devient insensible, à l’instar de cette dernière, créature de givre qui le retient dans le palais « où elle règne sur la froideur du monde ». Pas besoin du psychiatre Bruno Bettelheim pour deviner que c’est de dépression qu’il s’agit et pour mesurer l’impact qu’a cette maladie sur ses enfants. Un effet dévastateur : l’enfant ne peut pas se sentir aimé et en est réduit à grandir avec l’idée que « si elle ne m’aimait pas, c’est que je n’étais pas aimable ».

Or une mère, qui place sa fille dans cette situation, acquiert un énorme pouvoir sur elle ; l’obligeant à être constamment à l’affût d’une parole qui lui prouverait enfin qu’elle lui est chère. Cette parole ne peut ne jamais arriver et l’enfant en question accorder une importance démesurée à tout ce qui s’en approche. Entre Béatrice Hammer et sa mère, c’est l’écriture qui a permis que cette verbalisation se fasse enfin. La réaction que cela a suscité aurait été banale dans une famille normalement affectueuse mais elle donne corps dans cet opus à un épisode improbable, au cours duquel celui où la personne responsable de tous vos maux vous offre soudain la porte de sortie dont vous n’auriez pas eu besoin si elle ne vous avait pas mise dans cet état...

Petite, l’écrivaine a désespérément cherché « la potion qui rendrait [sa mère] fière ». Adulte, elle l’a trouvée : c’est donc la littérature. La littérature, avec son cortège d’infinies possibilités d’écrire ce qui n’a pas été vécu, de combler les manques, d’explorer les failles, d’imaginer les rendez-vous ratés... Rédiger un texte qui commence par « quand ma mère est morte, je n’ai pas été triste », c’est s’offrir la liberté de prolonger la démarche et la réflexion par « mais je vais vous dire pourquoi et c’est avec vous, lectrices, que je pourrai enfin partager ma tristesse de ce qui n’a pas été ». Touchante et lucide, cette Reine des neiges permettra peut-être à certaines lectrices de se reconnaitre, de mettre en mots l’ambiguïté des sentiments qu’elles éprouvent ou ont éprouvé envers leur mère et peut-être d’aboutir à une forme d’apaisement.


La reine des neiges, de Béatrice Hammer, 18 euros, Avallon & Combe

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