“La branche argentine”, une héroïne en quête de racines
A Paris, en 2024, Jo, la soixantaine, perd inexorablement la mémoire. Quatre-vingt-deux ans plus tôt, Ella, la vingtaine, débarquait seule à Buenos Aires, fuyant la Shoah. C’est là où cette aïeule a fondé la branche argentine de la famille de ce dernier ; une ramification dont Marie, la fille de Jo, n’apprend l’existence au moment où les souvenirs paternels s’évanouissent. Relatée dans ce beau roman, cette découverte lui offre une parfaite occasion pour renouer avec ses origines, prendre le relais de son père et s’interroger sur sa judéité.
Par Marceline Brodier
La branche argentine fait se croiser deux récits. Le premier nous emmène dans les pas de Marie, en 2024, une autrice parisienne dont le père, atteint par la maladie d’Alzheimer, s’enfonce chaque jour davantage dans les limbes de l’oubli. Le second -imaginé par Marie-, nous fait voyager avec Ella, en 1942, la cousine du père de Jo, qui a fui l’Europe pour l’Argentine en pleine Seconde guerre mondiale.
Comme Ella, Marie est juive. Elle ne s’est jamais définie à partir de cette religion, que ses parents lui ont léguée comme « une richesse, pas une panoplie ni un uniforme ». Mais depuis le 7 octobre 2023, elle n’a plus d’autre choix que celui de s’y confronter, car d’autres l’y assignent brutalement.
Comment ne pas penser alors à ses ancêtres engloutis par la Shoah ? Marie a « toujours écouté » les fantômes et souvent eu « le sentiment d’écrire sous leur dictée ». Mais s’en trouver des nouveaux en Amérique du Sud lui permet aussi de repeupler ce passé que son père laisse échapper, tout en cédant à la « pulsion archéologique » qui vient avec l’âge.
Elle décide se rendre en Argentine, pays où elle a « le sentiment d’une trêve » : par contraste, elle prend « la mesure des tensions régnant en Europe, de la pesanteur constante, des accusations plus ou moins ouvertes mais qui [empoisonnent] tout ».
C’est ce pas de côté par rapport au climat qui règne actuellement sur notre continent qui passionne plus encore que l’enquête sur la famille exilée. Depuis les Lettres persanes, on sait que rien ne vaut le fait de déplacer son regard si l’on souhaite mieux comprendre les maux de la société dans laquelle on est immergé au quotidien. Or, c’est que Marie réussit à faire grâce à son périple en Argentine. C’est aussi ce que l’autrice, dont le livre est autobiographique, même s’il n’est pas raconté à la première personne et si tous les noms ont été changés par respect de l’anonymat des protagonistes dont elle révèle l’histoire, a vécu. La lecture de La branche argentine, qui permet ce changement de point de vue, pourrait donc être salutaire pour celles et ceux qui vivent dans cette France si singulière d’aujourd’hui...
La branche argentine, de Carole Zalberg, 17,95 euros, Editions Le Soir Venu