“Notre part féroce”, un roman qui montre les dents
Troisième texte de fiction de Sophie Pointurier après La femme périphérique et Femme portant un fusil, cet opus intimiste et perturbant propose un récit teinté de fantastique autour de la figure du loup mais nous invite également à réfléchir sur ce qui fait et défait nos liens familiaux.
Par Bénédicte Flye Sainte Marie
Narratrice et héroïne de Notre part féroce, Anne est journaliste en Bretagne. Passionnée par cet animal, collectionneuse depuis l’adolescence d’objets qui le représentent, elle a été envoyée par Brigitte, sa rédactrice en cheffe, dans les Hautes-Alpes pour couvrir l’affaire dite du loup de Gap, durant lequel un agriculteur était jugé pour avoir abattu l’un des représentants de cette espèce protégée. Pour avoir écrit qu’au cœur de ce fait divers “se jouait l’ego des hommes”, dénoncé ces gens qui considèrent que “la nature doit servir des intérêts économiques ou rien” puis froissé un éleveur lors d’un débat à la radio, elle se retrouve au sein d’une tempête médiatique.
Afin d’apaiser le tumulte qui l’entoure, Brigitte cantonne d’abord Anne aux pages art de vivre de son hebdomadaire puis l’envoie à Palavas-les-Flots enquêter sur le cold case de la Dame Blanche, très loin de ces polémiques. Anne profite de ce reportage et de ce déplacement professionnel dans le Sud pour emmener sa mère avec elle et faire taire ses critiques, sachant qu’elle lui reproche de ne jamais venir la voir.... Un vrai sacrifice puisqu’Anne n’a eu de cesse de la fuir depuis qu’elle est adulte. Toujours malade ou complètement hypocondriaque, déprimée, souffreteuse, cette maman a en effet jeté un voile noir sur son enfance.
Ce voyage qui s’annonce éprouvant pour elle promet de l’être encore davantage si l’on considère qu’elle est aussi accompagnée de Scarlett, sa fille, qui est en pleine crise d’adolescence et de Rose, une amie de sa mère qui est très portée par la bouteille, de jour comme de nuit. Très vite, lors de leur séjour sur place, des phénomènes étranges commencent à se produire autour de leur domicile et Anne va petit à petit découvrir l’impensable sur la femme qui lui a donné le jour...
Livre dérangeant et atypique, Notre part féroce, qui évoque à certains égards Le règne animal, le très beau film de Thomas Cailley sorti en 2023, sonne d’abord comme une incitation à nous délester de nos visions trop cartésiennes et nous exhorte à laisser de la place à l’imprévu et à l’irrationnel. Le monde n’est pas toujours tel qu’on le voit ni à l’image que l’on voudrait qu’il soit. Mais le chemin que parcourt Anne nous encourage aussi à tempérer nos jugements sur nos parents.
Trop froids ou étouffants, fragiles, absents ou figés au contraire dans leur pouvoir et leurs certitudes, ils ne sont souvent que le fruit des épreuves qu’ils ont traversées et des stratégies qu’ils ont déployées pour survivre, tout simplement.
Notre part féroce, de Sophie Pointurier, 19, 90 euros, Éditions Phébus