“Souviens-toi des abeilles”, une fable flamboyante sur un monde qui vacille

Deuxième roman de Zineb Mekouar, ce livre résonne comme un chant mélancolique aux couleurs du sud marocain. Entre le bruissement des ruches, la réclusion d’une mère et la sagesse d’un grand-père, l’autrice signe un opus lumineux sur l’enfance, la nature et la mémoire.

Par Odile Lefranc 

Sous le soleil écrasant du Haut-Atlas, Anir, le jeune héros du roman, découvre l’art patient des abeilles aux côtés de son grand-père Djeddi. Son terrain de jeu : le rucher du Saint, qui surplombe le village d’Inzerki. Là, légendes et gestes transmis de père en fils et règles ancestrales nourrissent son apprentissage. Djeddi place ses espoirs en lui, pour que cette pratique lui survive après sa mort, tandis que son père, Omar, est parti à la ville pour gagner l’argent qui permettra de soigner sa mère : Aïcha, enfermée dans le silence depuis sa naissance. 

Zineb Mekouar raconte cette histoire essentiellement à travers le prisme de l’enfance, et c’est là toute son originalité. Petit garçon solitaire, Anir cherche à sortir sa mère de son mutisme. Il croit que les abeilles peuvent l’y aider. Et c’est au sein du rucher du Saint qu’il trouve refuge, loin des cris, des rumeurs du village. Ici, cet endroit devient un véritable personnage, puissant et mystérieux, tel un sanctuaire où chaque ruche s’inscrit dans une lignée et porte le poids de la mémoire et des légendes. Refuge et lieu de folie lorsque certaines règles sont transgressées, il illustre ce que dit Platon à propos du pharmakon : il est à la fois remède et poison.

Souviens-toi des abeilles traite avant tout des secrets de famille, ces fantômes invisibles qui confinent les vies sur plusieurs générations. Zineb Mekouar en montre avec subtilité l’impact sur les destinées. Un passage s’avère particulièrement touchant, lorsque le grand-père Djeddi exprime ses regrets, lui qui a toujours cru faire ce qui était juste et chez qui le doute affleure aujourd’hui. On savoure également ces très belles pages où Omar, son fils, commence à comprendre que la terre qu’il fuit n’est autre que l’appel de la vie. On s’attache à ces personnages, on vibre avec eux dans la chaleur des vents, on avance en leur compagnie dans la poussière qui danse si bien que les herbes sèches finissent par craquer sous nos pas. Et l’on se surprend à courir aux côtés d’Anir jusqu’au bord du gouffre, à reprendre souffle dans le bourdonnement symphonique des abeilles.

Écrit à la manière d’un conte écologique, le roman montre aussi les effets du changement climatique sur la ruralité : sécheresse des terres, manque d’eau qui décime les abeilles, exode des jeunes vers la ville. Mais il célèbre aussi la force des liens familiaux, l’attachement à la terre des origines et aux ancêtres

Le livre audio, publié en même temps que la version poche, est une réussite. L’écriture de Zineb Mekouar y est sublimée par la voix de Françoise Gillard, de la Comédie-Française. La comédienne insuffle du vivant, fait résonner les mots comme une flûte ancienne dont la mélopée semble jaillir de la terre rouge d’Inzerki, une eau vive surgie des montagnes, comme la source qu’Aïcha découvre au creux des pierres. Comme un baume universel.


Souviens-toi des abeilles de Zineb Mekouar  Folio Gallimard, et en audio Écoutez-lire, lu par Françoise Gillard de la Comédie-Française

En version audio

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