“Sous leurs pas, les années”, ces vies d’où l’on vient
Rédigé par la journaliste du Monde Camille Bordenet, ce roman nous dépeint les itinéraires de Jess et Constance, autrefois meilleures amies, aujourd’hui aux antipodes l’une de l’autre dans les chemins qu’elles ont empruntés, entre ville et campagne, métier de terrain et quotidien sous les feux des projecteurs. Couronné par le Prix Ouest France-Terre de France 2025, il offre une réflexion sur les origines et sur ce qui pousse à les chérir ou à s’en éloigner.
Par Géraldine Wiart
Avec Sous leurs pas, les années, Camille Bordenet signe son premier roman, qui sonne comme un joli pied de nez aux clichés sur le monde rural. Elle évoque d’abord la dualité campagne et ville. Chacun a ses habitants, ses habitués, ses habitudes. Les choses y oscillent entre lenteur et frénésie. L’autrice observe ces personnages et ces deux façons d’habiter la vie avec bienveillance. Y’en a-t-il une plus « valable » que l’autre ?
Dans cet opus, une histoire d’amitié est née dans l’enfance et s’est poursuivie à l’adolescence, celle de Jess et Constance. Et puis les deux trajectoires sont devenues parallèles. Jess est restée au village, le Valfroid, et Constance est partie à la conquête d’un « mieux » - un mieux qu’elle pense trouver ailleurs, les promesses parfois clinquantes de la ville et ses lumières. Partir pour aller exister, autrement, en mieux, en plus grand en tout cas : ailleurs. Mais au fond, tout n’est qu’une question de point de vue.
Car ici ou ailleurs, dans les deux cas, il y toujours une course après quelque chose : un métro, une maison, le temps, le sens, soi-même.
Puis la vie, la mort reprennent leurs droits : Simone, la grand-mère de Constance et l’inséparable de Jess, décède. Une mort discrète mais bien tangible, à l’image de Simone. Cette vieille dame toujours présente de près ou de loin, dans la vie du village, dans la vie de Jess, de sa petite-fille Constance.
Pour Constance, c’est le retour à la case départ. Il faut revenir dans ce village qu’elle s’est efforcée de reléguer dans la case souvenir. Retrouver cette amie qu’elle n’a pas vue depuis dix-sept ans, rouvrir les vieux cartons du grenier, tenter de définir ce que l’on fait de tout ça. Jess et elle se confrontent aux personnes qu’elles sont devenues, au parcours effectué, celui qu’elles ont choisi puis celui qui s’est imposé à elles sans qu’elles ne puissent le prévoir.
Ce roman nous enjoint à grandir, à accepter de regarder dans le passé sans qu’il ne vienne nous perdre. Grâce son écriture, à la fois simple et précise, où chaque détail, chaque geste du quotidien sont racontés, Camille Bordenet évoque habilement cette démarche aux allures paradoxales. Elle l’aborde tantôt avec humour -parce que le lecteur se surprendra à plusieurs reprises à sourire, voire à rire- tantôt avec nostalgie qui nous rappelle que l’on ne quitte jamais vraiment d’où l’on vient. Elle raconte nos racines et la transmission entre les générations. Elle nous en parle comme on pourrait en débattre autour d’un café, entre amis mais avec un style vivant, des mots, des phrases toujours justes, celles que l’on pourrait lire deux fois et se dire : « Ah oui ! c’est tellement ça ! »
Une douce nostalgie point lorsque le livre se referme. Tous ceux qui ont un jour dû choisir entre partir ou rester s’y reconnaitront. Sous leurs pas, les années met justement l’accent sur ce moment de bascule et nous rappelle l’importance de ralentir car « existence ne prend pas d’s””... On ne doit jamais cesser de regarder sous nos pas car ce sont eux qui nous éclairent.
Sous leurs pas, les années, de Camille Bordenet, 20 euros, Editions Robert Laffont (collections Pavillons)