“La guerre par d’autres moyens”, les égos dans l’arène 

Fresque cruelle dans laquelle se télescopent les trajectoires contraires d’un ancien président de la République sur la pente descendante et de sa femme, une star de cinéma en pleine renaissance, le nouveau roman de Karine Tuil impressionne par la peinture sagace et cruelle qu’il fait des sphères du pouvoir

Par Bénédicte Flye Sainte Marie 

Qui s’y frotte s’y pique ! Comme le fuseau de Cendrillon, le pouvoir, quels que soient l’endroit où il s’exerce ou la forme qu’il endosse, blesse tous ceux et celles qui l’approchent. C’est ce que démontre avec brio le nouveau roman de Karine Tuil La guerre par d’autres moyens, dont le titre est inspiré d’une phrase, traduisant sa conception de la politique, du grand stratège militaire Carl von Clausewitz.

Et de politique, il est justement question dans cet opus, puisque son principal protagoniste, Dan Lehman, a vu son capital sympathie être réduit à néant après les cinq années chaotiques qu’il a passées à l’Élysée. 

Déprimé par cette chute dans les tréfonds de la popularité, son passage de la lumière à l’ombre, Dan assiste aussi avec impuissance au délitement de son mariage avec Hilda, sa deuxième épouse, une comédienne allemande plusieurs décennies sa cadette, qui n’a pas supporté son obsession pour sa fonction et le fait qu’il délaisse complètement la famille qu’ils forment -ou plutôt formaient- avec Anna, leur enfant de trois ans, qui est atteinte de surdité.

Et Dan s’apprête en outre à être entendu par la justice dans une affaire de corruption... Au milieu de ce marasme, le seul moyen qu’il trouve pour noyer son mal-être est de le diluer (sans modération) dans l’alcool...

À la manière de vases communicants, la carrière de Hilda, qui était au point mort depuis l’élection de Dan, repart sur les chapeaux de roue lorsqu’elle est engagée comme tête d’affiche d’A la recherche du désastre, film-choc traitant des violences conjugales de Romain Nizan, un cinéaste qui revendique sa porosité aux questions sociétales et son progressisme.

Un choix qui ne va pas sans provocation puisque ce long-métrage est tiré du livre de Marianne, la première femme de Lehman, une talentueuse autrice qui déteste cordialement Hilda ; Hilda avec qui Romain entretient par ailleurs une liaison... Se mêlent à ce petit monde Léonie, la fille de Dan et de Marianne, qui est fascinée par Nizan et Mélanie, actrice qui a eu la première l’idée de cette adaptation. Tous vont s’aimer, se déchirer et se trahir joyeusement dans une pantomime beaucoup plus tragique qu’hilarante, alors que se profite une possible sélection au Festival de Cannes pour A la recherche du désastre.

Ultra- contemporain, ce récit, à la fois âpre et rythmé, permet de regoûter à tout ce que l’on apprécie chez Karine Tuil, à savoir sa capacité à aller explorer le fond de l’âme de ses personnages, jusque dans leurs lâchetés et leurs contradictions. Et ça rend paradoxalement ceux qu’on adorerait détester un peu plus aimables, comme Dan.

La guerre par d’autres moyens illustre aussi la drogue que constituent la notoriété, la puissance et de l’aura qu’elles confèrent. Il y a enfin chez cette écrivaine une acuité sur ce tout qui régit les relations humaines, comme lorsque Marianne, certainement la figure la plus lucide et attachante de l’histoire, pointe ces couples au fonctionnement “transactionnel” qui se construisent, pas forcément consciemment, sur le statut social de l’un et la beauté et la jeunesse de l’autre.

Les esprits mal placés y verront quelques allusions à certains de nos anciens chefs d’Etat et à leurs turpitudes mais comme dit l’adage, l’essentiel est ailleurs...


La guerre par d’autres moyens, de Karine Tuil, 22 euros, Éditions Gallimard

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