La partition douce-amère de “L’oreille absolue”
Empreint de poésie et d’humanité, le dix-septième livre d’Agnès Desarthe nous transporte au cœur d’une petite commune nordiste, où les destinées d’une myriade de protagonistes vont se désagréger puis se réparer par la magie des petits gestes qui ont de grands effets.
Par Bénédicte Flye Sainte Marie
Dans le village où se déroule L’oreille absolue, c’est la crise du logement, y compris du côté du cimetière : il n’y a plus aucune parcelle, ni place pour que de nouveaux défunts y soient inhumés. Les administrés sont sommés de résister à la Grande Faucheuse. Au conseil municipal, l’élu explique à la petite assemblée rassemblée qu’au prochain macchabée, “ on est marron. Ils ont intérêt à tenir”. “C’est l’hiver où rien ni personne ne doit mourir” souligne ensuite plusieurs fois l’écrivaine.
Mais les chagrins se jouent des mètres carrés disponibles et des statistiques. Enracinés dans le terreau des douleurs non exprimées, de nombreux drames sont en gestation. Heureusement, comme si le destin voulait pour une fois se montrer clément avec ces êtres cabossés par la vie, une sorte d’effet-papillon vertueux va s’enclencher. En s’enfuyant de l’école pour gagner les cinq euros promis par Lennon, son copain, s’il réussissait à “disparaitre”, Matis, l’enfant indocile, celui qu'aucun adulte ne sait gérer, va contrecarrer les plans de Raoul, qu’il trouve la corde au cou, sur le point de se tuer... ‘Je ne suis pas marié” confie Raoul au garçon. “Alors, ça ne sert à rien que tu te pendes” lui répond avec pragmatisme Matis, qui trouve justement que sa mère aime beaucoup plus son père depuis qu’il s’est suicidé... Pour beaucoup, Raoul est uniquement un gros monsieur gênant. Mais Matis, qui a le cerveau aussi vif que les jambes, a remarqué ses exceptionnels talents musicaux et va l’aider à renaitre.
Autour d’eux, dans cette localité, un couple va se former, un adolescent dans le coma va se battre pour revenir à la conscience, des amis séparés par la violence d’un moment honteux vont pouvoir se retrouver et plusieurs sauvetages in extremis vont être opérés ; le tout sous les yeux d’un personnage qui a longtemps été invisible aux yeux des habitants.
Ce sont ces simples retours à la vie que dépeint L’oreille absolue. À déconseiller à ceux qui cherchent des intrigues musclées et trépidantes mais à recommander à tous les autres, qui apprécient que l’on marche avec finesse sur le fil du sensible et de l’émotion... Certains pourront juger que ce court texte, écrit à la base pour le théâtre par Agnès Desarthe, s’aventure davantage du côté de l’exercice de style que du roman.
Mais il possède pourtant ce qui manque à de nombreux livres dits de fiction, à savoir la grâce et l’art de décrire l’indicible, le fragile, l’anecdotique, ces menues choses qui peuvent transformer une tragédie en heureux dénouement et inversement...
L'oreille absolue, d’Agnès Desarthe 19,50 euros, Éditions de l’Olivier