“L’appelé”, la souffrance en héritage
Par Marceline Bodier
Sondant les séquelles qu’a laissés la guerre d’Algérie chez un jeune soldat, L’appelé de Guillaume Viry, qui obtenu le prix des lectrices et des lecteurs des bibliothèques de la ville de Paris 2025, est un livre très court et poignant qui se dévore le temps d’un trajet.
« L’appelé révèle un écrivain », dit la quatrième de couverture. C’est l’éditeur qui l’affirme et les promesses n’engagent, en somme, que ceux qui les font ! Mais cela se justifie amplement lorsque l’on s’aperçoit de toutes les références que ce texte convoque : comme La carte postale d’Anne Berest ou L’origine de la violence de Fabrice Humbert, il parle de transmission intergénérationnelle des traumatismes. A l’instar de La blessure de Jean-Philippe Naudet, il se focalise sur le descendant d’un jeune soldat français brisé par ce qu’il a vécu pendant la guerre d’Algérie. Tel À la ligne de Joseph Ponthus, le texte est écrit en vers. Et à l’image de Stefan Zweig, il convainc en une centaine de pages. Autant dire que ce livre a de qui et de quoi tenir...
Le narrateur, c’est Julien, fils de Joseph, petit-fils de Louis. Joseph avait un frère, Jean, appelé en Algérie, dont il est revenu traumatisé. Il est mort en hôpital psychiatrique et la famille ne l’a plus jamais évoqué. Du moins jusqu’à ce que Julien doive faire son service militaire... « Dis-leur que ça ne s’est pas bien passé, le service militaire de ton oncle Jean en Algérie », lui explique-t-on. Julien a été finalement été réformé.
Mais jusque-là, Julien n’avait jamais entendu parler de cet oncle. Ou peut-être n’avait-il pas voulu voir les traces laissées par ce drame ? Par exemple, pourquoi son père est-il devenu médecin anatomopathologiste, celui qui ne voit jamais ses patients, mais sait s’ils vivront ou mourront en regardant leurs tissus au microscope ?
“ Tu es l’homme des profondeurs Joseph pas celui des surfaces
je ne suis rien d’autre
moi Julien
je ne suis rien d’autre que le fils idiot
rien d’autre que le fils idiot qui a mis tant d’années tant d’années à entendre le père”
Les romans en vers ne font pas partie des genres que l’on affectionne spontanément. Mais depuis Joseph Ponthus, on sait qu’ils permettent d’exprimer des émotions trop fortes qui ont besoin d’un rythme supplémentaire pour ne pas submerger celui qui écrit, et celle ou celui qui lit. Ils permettent aussi de combler les vides, de « donner forme à l’informe » : sinon, comment faire la paix avec une histoire qui n’a comme unique contenu une douleur qui n’a jamais été exprimée ?
L'appelé, de Guillaume Viry, 16 euros, Editions du Canoë