“L’effondrement”, nouvel acte d’une tragédie familiale
Dans son roman, autobiographique comme l’étaient ses précédents opus, Édouard Louis, jeune auteur brillant, choisit d’évoquer son frère. Celui qui, jamais nommé, a hanté sa vie jusqu’à la mort annoncée de cet homme voué à L’effondrement.
Par Anne-Sophie Campagne
Mon frère. Ce groupe nominal suffit à nommer le personnage central du dernier livre d’Édouard Louis, récompensé par le Prix du roman Les Inrockuptibles 2024. Après son père et sa mère, l’écrivain-survivant se sert de ce frère anonyme comme d’un mobile pour rédiger un nouveau récit sombre et implacable sur cette enfance qui l’a forgé avant qu’il ne la rejette. Édouard Louis brosse un portrait accablant de l’existence sans issue de ce frère né dans une famille pauvre de la classe ouvrière. Cet ainé, omniprésent, plane comme une ombre néfaste. À l’image d’un fantôme toxique, ce protagoniste est à la fois la cause et la conséquence de l’implosion générale d’une famille nombreuse.
Édouard Louis propose, dans ce texte à l’écriture sobre et poignante, une analyse psychanalytique de la plongée dans la misère sociale et alcoolisée de ce frère marquée par une « blessure » éternelle. Il raconte ses chutes multiples et ses efforts nombreux pour refaire surface, ses échecs professionnels et ses déboires amoureux. La violence, l’ivresse, la fuite et l’isolement résument les trente-huit années de calvaire de ce jeune homme condamné moralement et socialement. L’auteur est un des seuls rescapés (avec sa mère) de cette fatalité généalogique, sauvé par la force de son courage et la volonté de se différencier. Il démontre, une fois de plus, qu’une sortie est possible et accessible, à condition d’y croire et de s’en donner les moyens.
Cet autre volet du drame familial d’Édouard Louis est une véritable claque. Il décrit avec un réalisme froid les faits qui ont conduit ce frère à sa fin annoncée et raconte avec une distance sincère des souvenirs d’enfance majoritairement négatifs. Louis livre ses remarques, avec un œil perçant, et donne son avis, sur un ton intransigeant, à propos de celui qu’il a préféré ignorer pendant la dernière décennie de sa vie.
L’effondrement, comme les autres livres d’Édouard Louis, résonne forcément en chacun de nous puisqu’il aborde des thèmes universels. Le poids des liens familiaux, la transmission d’un héritage social, la légitimité d’une destinée personnelle…
C’est ce qui fait la puissance de chaque titre de cet auteur marqué au fer rouge par ses origines. Il ne fait que confirmer la puissance d’écriture d’Édouard Louis, qui parvient à sublimer la déchéance, à émouvoir par l’horreur et à convaincre par l’acharnement de ses témoignages. On attend la suite avec impatience…
L'effondrement, d’Edouard Louis, 20 euros, Éditions Seuil