“Night Boy”, survivre à l’obscur

Avec Night Boy, publié aux éditions de la Manufacture de livres, Gilles Sebhan signe un roman noir haletant, une course contre-la-montre dans les marges d’une ville côtière anglaise.

Par Odile Lefranc

Trafic d’êtres humains, corruption, règlements de comptes : Night Boy ne fait pas dans la demi-mesure. Derrière cette noirceur, Gilles Sebhan traque l’instinct de survie dans un monde marqué par l’ultraviolence, à travers la rencontre d’un adolescent pourchassé par les criminels et d’une femme trans en marge.

Cette rencontre improbable entre ces deux solitudes - Abad et Gloria -, devient la toile de fonds lumineuse d’une enquête sous haute-tension, où se croisent policiers, mafia albanaise, gang pakistanais, élus corrompus et figures de l’underground local.

En s’inspirant de l’affaire des « Grooming Gangs », ce scandale des viols collectifs ayant secoué le Royaume-Uni dans les années 2000, et qui a été récemment récupéré par Elon Musk dans une tentative d’ingérence dans la politique britannique, Gilles Sebhan s’empare d’un sujet rarement traité en littérature. 

Mêlant enquête policière, thriller et regard social, Gilles Sebhan, écrivain mais également peintre, joue avec les codes du polar pour mieux nous immerger dans cette arène de violence, habitée de personnages confrontés à des choix extrêmes.

On retrouve dans Night Boy les thèmes qui sont chers à l’auteur et qui traversent son œuvre : le désir, la part d’enfance, la criminalité. Tout en faisant progresser l’enquête et en exacerbant la pression qui pèse sur l’adolescent en cavale, Sebhan recentre peu à peu le récit sur une question essentielle : comment survivre face à la violence du monde ? Par un glissement subtil dont lui seul maîtrise le tempo, l’auteur triture l’intime des personnages dont les fractures se font l’écho de questionnements universels : qu’est-ce que le courage ? Protéger, jusqu’où ? Au détriment de sa vie ? 

C’est là toute la force de l’écriture de Gilles Sebhan de saisir « l’urgence de vivre », par un entremêlement des voix intérieures, un enlacement de la fiction avec une réalité qui résonne comme un cri. Telles les rivières d’un fleuve qui prennent leur source dans le sang, chez Sebhan, il n’y a pas d’écriture sans qu’un crime n’ait été commis.

Finalement, en suivant la course folle d’Abad, il parvient à faire le portrait d’une adolescence exposée à la brutalité de monde. À la manière d’un film de Ken Loach où l’âpreté sociale fait surgir des éclats d’humanité, l’auteur ne pointe pas, il montre.

Au-delà de la résistance physique face au danger, le roman explore les conditions d’une survie psychologique, rendue possible par un lien d’attachement qui surgit, dans un moment présent, de manière inattendue, entre Abad et Gloria. Alors, dans l’entaille de la nuit, la lumière d’un bord de mer fait apparaître toutes les vérités. 


Night Boy de Gilles Sebhan, 13, 90 euros, Éditions La manufacture de livres 

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