“Puisque l’eau monte”, le passé comme un raz-de-marée
Sybille a tout réussi, mais sa vie s’est bâtie sur du sable depuis que l’été de ses quatorze ans a fait de sa mère une étrangère. Comment pourrait-elle ne pas se laisser submerger ? Le premier roman de l’autrice découverte avec le texte autobiographique La petite fille sur la banquise est bouleversant de justesse.
Par Marceline Bodier
Puisque l'eau monte est une histoire de femmes, qui s’ouvre sans préambule sur une scène où l’héroïne perd le contrôle face à son sang qui coule. Où les réactions les plus folles sont à attendre. Socialement, professionnellement, financièrement, amoureusement, Sybille la plus que parfaite a pourtant coché toutes les cases mais elle ne s’appartient pas. Comment le pourrait-elle alors qu’après l’été de ses quatorze ans, sa mère est devenue une autre personne ? Alors que cette dernière avait elle aussi perdu sa propre mère durant son enfance, engloutie par le marais parce qu’elle y avait « vu le bras rouge » ? Peut-être que génération après génération, toutes sont “des matriochkas. Séparées les unes des autres, rien que de jolies boîtes vides sous le même visage peint” ... Or, une matriochka a-t-elle un corps ?
Le roman prend cette question au sérieux et réécrit les mécanismes de la transmission intergénérationnelle des traumatismes en partant du corps. L’écriture très compacte, nerveuse, où chaque phrase appelle la suivante, oblige à se mettre à la place de la narratrice en ne quittant jamais son monde intérieur. Et on prend plaisir à l’accompagner dans ses méandres alors même qu'elle affronte des choses qu'on n'a pas envie de traverser avec elle, car le fait de les verbaliser apporte un soulagement. Vous avez vécu un avortement, une fausse-couche, vous êtes ou avez été menstruée ? Vous serez happée.
L’histoire de Sibylle est notre histoire à toutes, telle une fable universelle, parce que toutes nos lignées sont forcément faites de cela, de ce rapport au sang, au corps et à ses contraintes, même si cette dimension est de l’ordre de l’inexprimé, voire de l’indicible. Au fur et à mesure que Sibylle comprend la lignée de femmes dont elle est issue, ce qu’elle fait prend sens et on est bouleversé par l’infinie justesse de la scène finale, qui semblerait peu croyable si la lectrice ou le lecteur la découvrait avant d’avoir cheminé dans le reste de cet ouvrage.
Lisez-le donc : c’est ce qu’on appelle un grand roman.
Puisque l'eau monte, d’Adélaïde Bon, 16,95 euros, Éditions Le soir venu