Audrey Dana “ Je pourrais écrire un livre dont le héros serait un moine tibétain, je serais toujours en train de parler de moi”

Propos recueillis par Bénédicte Flye Sainte Marie

Curieuse de s’aventurer sans cesse dans de nouveaux registres, l’actrice et réalisatrice de Sous les jupes des filles signe, après Fa(m)ille, son deuxième livre et premier roman Illuminée. Dans ce savoureux opus, son héroïne, Alice, maman de quatre enfants de trois pères différents, revient de l’au-delà après avoir été en état de mort clinique pendant quarante minutes. Troublante et unique, cette expérience va l’amener à repenser sa vie, ses rapports aux autres et sa relation avec elle-même.

Pourquoi l’artiste que vous êtes, qui dispose déjà de nombreux champs d’expression, a éprouvé le besoin d’explorer ce territoire de la fiction ?

On est venu me voir en me disant “Est-ce que tu voudrais écrire un roman ? ”. Or, j’adore ce qui me fait peur. J’avais déjà publié un premier livre, qui était de l’autofiction. Là, je ne savais pas vraiment comment on s’y prenait. Heureusement, Mahir Guven, qui est prix Goncourt du Premier Roman, m’a proposée de m’accompagner et m’a aidée à construire une colonne vertébrale. C’était malgré tout vertigineux. Mais je suis du genre à aller vers mon risque, comme dans la citation de René Char ; j’apprécie lorsque je me dis que ça ne va pas être simple. En même temps, je n’avais pas envie de me jeter dans la gueule du loup, ni de me ridiculiser, donc j’étais très rassurée d’être épaulée par Mahir. Finalement, l’exercice m’a beaucoup plu et j’aimerais sortir un livre tous les deux ans parce cela m’offre une immense liberté. Contrairement au cinéma, je n’ai pas ici de limite d’argent, d’histoire, d’incarnation. Je peux me cacher derrière mon héroïne, imaginer, fusionner, fantasmer. C’est presque un délire psychédélique !

Le phénomène de décorporation que subit votre héroïne n’est-il pas une métaphore de l’écriture littéraire, qui permet de se placer en surplomb de soi-même ?

C’est drôle, je ne l’avais pas perçu comme ça mais vous avez raison ! A la base, je me suis appuyée sur tous les témoignages de mort imminente que j’ai pu lire. Mais c’est vrai qu’ensuite, il y a toute une dimension dans l’écriture littéraire qui nous échappe. Quand j’ai rédigé par exemple cet épisode dans la chambre froide mortuaire, je me suis d’abord dit que c’était une incroyable scène de comédie. Mais je suis rendu compte ensuite que c’était aussi et surtout une forme de naissance, avec des nouvelles sensations, des premiers pas, une première phrase. Et c’est une naissance qui se fait dans la peur, parce qu’Alice pense qu’on a abusé d’elle. Je n’ai réalisé que plus tard ce que cela convoquait, que c’était une métaphore de ce qui est notre lot à toutes, à savoir que l’on côtoie des hommes qui peuvent nous agresser, nous faire du mal, nous réduire à néant ou nous violer. Prendre conscience de cela est ultra-thérapeutique.

Parmi les auteurs, il y a ceux, à l’instar d’Emmanuel Carrère, qui ont besoin du réel intime, familial ou sociétal pour écrire et d’autres qui souhaitent au contraire s’en éloigner dans leurs œuvres. De quelle école faites-vous partie ?

Tout ce qui touche à la mort imminente est réaliste dans Illuminée. Mais sinon, je me suis amusée et j’ai fictionné à fond. Cela dit, je pourrais écrire un livre dont le héros serait un moine tibétain, je serai toujours en train de parler de moi. Est-ce que je cours après ma sagesse, représente-t-il mon grand-père, qui je voudrais être, qui je ne suis pas ou ne serai jamais ? On en revient toujours à soi.

Illuminée résonne comme un roman d’émancipation parce qu’on y constate qu’Alice, votre héroïne, s’affranchit petit à petit du poids des jugements qu’on formule à son égard. Est-ce ainsi que vous avez voulu le concevoir ?

Oui, on appelle la cinquantaine une crise, mais on devrait parler de révolution ! Car c’est synonyme de redécouverte ; c’est un grand mouvement du corps et de l’âme comme à l’adolescence. On tend à se libérer du regard des autres et on en a besoin. Moi, je trouve que c’est un moment extraordinaire.

Votre personnage principal, Alice, a une réplique qui rappelle celui d’Elisabeth, qu’incarne Valérie Benguigui, dans le film Le prénom. Cette colère concernant le manque de perception et de reconnaissance sur ce que les mères assument sommeille-t elle en chacune de celles qui le sont ?

La manière dont les mamans portent leur famille semble assez naturel voire invisible. Si on mettait un mec dans nos pompes, on lui décernerait une Légion d’honneur ! A cet instant-là du livre, Alice se pose face aux trois pères de ses quatre enfants pour mettre les points sur les i et l’église au milieu du village, leur expliquer qu’étant décédée durant quarante minutes, elle ne pourra -pour une fois- rien gérer pendant quelques jours parce qu’elle a besoin de comprendre ce qui lui arrive et le métaboliser ! Si elle était vraiment morte, il aurait bien fallu de toute façon qu’ils prennent les choses en main...

Pensez-vous votre livre puisse avoir des effets salvateurs sur ses lectrices et lecteurs ? Parce qu’il y a une sagesse qui s’édifie de page en page, sur le fait de ne pas chercher de béquilles en quelqu’un ou quelque chose d’autre que soi...

Oui, je n’écris des livres et des films que dans un seul but, d’aider l’humanité à aller mieux, avec plus de lumière, d’amour, d’espoir et de compréhension. Il faut ramener la magie dans notre quotidien, renouer avec le règne végétal et animal auquel on appartient, cultiver l’amour de la nature et l’amour de soi. Mon objectif, c’est que les gens se reconnaissent et se sentent moins seuls

« J’ai compris que la vie était certainement plus complexe, grande et
incroyable qu’on peut l’imaginer, avec de multiples strates. »

Il y a un part de fantastique dans Illuminée, dans son postulat de départ comme dans son épilogue. Le surnaturel a-t-il une place dans votre vie et dans votre tête ?

Oui, je lance d’ailleurs un podcast qui s’appelle Regarder l’invisible. Je suis fascinée par l’après, les récits de mort imminente, le magnétisme, les soins à distance, par tous les sujets de ce type. Et il m’est arrivé énormément de choses, alors forcément je me pose beaucoup de questions... Au début, j’ai pris ça pour de la folie, du grand n’importe quoi. Mais j’ai compris que la vie était certainement plus complexe, grande et incroyable qu’on peut l’imaginer, avec de multiples strates.

À LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format poche. Quel ouvrage de ce type nous recommandez-vous ?

Kilomètre zéro de Maud Ankaoua mais je pourrais aussi citer L’alchimiste de Paolo Coelho ou L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono. Dans ce qui est plus récent, je conseille Divorce à la française, d’Eliette Abécassis, écrivaine pour qui j’ai beaucoup d’affection.

Illuminée, d’Audrey Dana, 20, 90 euros, Editions Jean-Claude Lattès

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