Claire Norton “Je trouve qu’il n’y a pas plus magique dans l’écriture que d’avancer avec ses personnages”
Par Géraldine Wiart
Dans son septième roman Et que Dieu me pardonne, l’autrice à succès nous propose de réfléchir sur ce qui peut pousser une personne lambda à outrepasser les règles et à vouloir se faire justice elle-même, à travers l’histoire d’Elodie, une maman dont la fille a été assassinée et qui va se mettre en tête d’infliger le pire à son meurtrier à sa sortie de prison. A l’occasion de la sortie en poche de cet ouvrage, Claire Norton nous dévoile les arcanes de sa conception.
L’intrigue de Et que Dieu me pardonne trouve-t-elle sa source dans des faits réels qui vous auraient bousculée, amenée à cogiter ?
Compte tenu du sujet, j’aurais effectivement pu le faire. Mais je me suis davantage inspirée d’une réaction de mes lecteurs ; notamment dans des salons où je leur ai demandé ce qui constituerait pour eux une espèce de rupture avec le respect des institutions, des lois, de leur éducation. De cette expérience nouvelle que j’ai faite par curiosité, a résulté que tous m’ont avoué qu’ils seraient capables du pire si on venait toucher un cheveu de leurs enfants. C’est quelque chose qui m’a vraiment fait réfléchir. C’est de cette question-là que je suis partie : ”De quoi seriez- vous capable si le pire vous arrivait ?”. C‘est ce qui m‘a menée vers l’histoire d’Elodie.
Avez-vous rédigé ce livre en vous appuyant sur une trame précise ou en laissant une grande place à l’improvisation ?
Je ne travaille jamais avec un plan. J’ai une petite manie : avant même de démarrer un roman, j’ai besoin de le baptiser, de lui trouver un titre de départ. J’ai un début, bien sûr, mais j’ai toujours deux fins possibles. Je commence à écrire et c’est vers le milieu du roman que j’oriente l’épilogue. Je peux avoir quelques pierres qui sont posées en amont si je sais que certains de mes personnages vont devoir se rencontrer ou s’il y a des évènements importants qui vont les concerner mais je n’ai pas de canevas. Je trouve qu’il n’y a pas plus magique dans l’écriture que d’avancer avec ses personnages.
Quand on écrit un livre qui s’articule des pivots aussi dramatiques que la mort d’une petite fille et la séquestration d’un homme, comment trouve-t-on le juste dosage, entre la noirceur d’une histoire et la résilience qu’on veut y injecter ?
J’ai toujours été convaincue que la vie était faite de dualité entre le bien, le mal, l’ombre et la lumière... Je crois vraiment que nous avons les deux opposés, que même dans les moments les plus sombres, il y a toujours de l’espoir et des décisions courageuses qui font qu’au bout de ce tunnel, il y a la lumière. Ce livre ne fait donc pas exception par rapport aux autres. La preuve, c’est que certains parents ayant affronté des choses absolument terribles réussissent à se reconstruire. Je suis assez admirative parce que je trouve qu’il faut un pouvoir de résilience qui m’échappe presque... Et on ne trouve cette lumière que lorsqu’on a traversé des zones d’ombre telles que celles-ci. C’était ça, mon sujet : à partir d’un sentiment de perte, comment fait-on pour s’en remettre quand on porte en soi une telle culpabilité et comment fait-on face à son sentiment d’impuissance ?
Y a-t-il une réflexion particulière que vous souhaitez provoquer chez vos lecteurs ?
Ce que j’adore dans l’écriture, c’est justement d’essayer de provoquer justement cette introspection, par exemple, ici amener le lecteur à se dire : “Qu’est ce qui fait que moi, je pourrais perdre mon sang-froid et franchir une ligne que je ne m’imagine pas franchir aujourd’hui ?” Parce que je suis convaincue que l’on avance tous avec une certaine conviction de ce que l’on est capable de faire ou ne pas faire. Mais la vie peut parfois nous réserver des choses épouvantables. Quand ça se produit, on se découvre des facettes de personnalités que l’on n’aurait jamais imaginées. Moi, j’adore prendre le lecteur par la main et qu’il se dise “Je vous déteste parce qu’à cause de votre livre, je n’ai pas dormi” ou “Je repense souvent à ce récit”. Même s’il n’a pas apprécié l’histoire, ce n’est pas grave car il s’est posé des questions.
Quel personnage vous a donné le plus de fil à retordre ?
J’ai passé mes nuits avec ces deux personnages, Frédéric et Élodie. En tant que maman, j’ai évidemment détesté Frédéric. Comment ne pas le haïr ? Quand les choses ont avancé, quand je l’ai découvert ; il a pris une part d’humanité alors qu’Elodie en manquait un peu par instants. Ça m’a beaucoup interrogée ; j’ai moi aussi vacillé et il y a eu une inversion des rôles. Je ne savais plus vraiment où étaient le bien et le mal et c’est ce qui était intéressant.
Certains passages, très intenses émotionnellement, ont-ils été délicats à rédiger ?
Se retrouver dans la situation d’Elodie doit être absolument terrible, donc l’écrire a été complexe, d’autant que j’ai besoin de me mettre dans la peau de mes personnages, d’approcher leur douleur. Cette souffrance, je l’ai comprise à travers de témoignages de parents qui ont perdu au moins un de leurs enfants. Quant aux scènes de la cave, j’ai dû parfois poser l’ordinateur parce que j’avais l’impression d’aller très loin. Mais il fallait que j’y aille. Et non, je ne suis pas suivie en HP (rires).
Avez-vous l’impression qu’au fur et à mesure que vous cheminez dans votre carrière d’autrice, vous vous autorisez des thématiques plus sombres et/ ou plus ancrées dans la société et l’époque ?
Concernant l’époque, oui, puisque j’évolue avec elle. En revanche, j’ai toujours abordé des sujets de ce type, comme la fin de vie, les violences conjugales ou la perte d’un être.
Quand on est mère et que l’on écrit ce type de texte, s’interroge-t-on sur ses limites et sur ce qui pourrait les faire voler en éclats ?
Oui, il n’aurait pas été normal que je ne me livre pas à ce type d’exercice. Il faudrait aller loin mais ce serait peut-être le cas si on faisait du mal à quelqu’un que j’aime, si l’on touchait à l’un de mes enfants. Donc, je comprends Élodie sur ce qui motive au départ cette décision. Je ne parle pas de l’acte en lui-même mais du désir de vengeance que l’on peut avoir face à un truc absolument affreux et injuste, qui de plus est sur un enfant qui, par définition, est innocent et impuissant.
« Tout ce qui m’intéresse, c’est ce qui est lié à la condition humaine »
Y a-t-il une obsession littéraire vers laquelle vous revenez malgré vous ?
Tout ce qui m’intéresse, c’est ce qui est lié à la condition humaine. Je consacre une bonne partie de mes écrits à ce qui a trait au lien, amical, amoureux, familial, maternel. Parce que je pense que toutes les blessures viennent d’un problème à ce niveau-là. Et il y a une vraie richesse au niveau de l’écriture parce que c’est quelque chose qui touche chacun d’entre nous.
A LMQPL, on aime tous les livres, notamment en format de poche. Quel ouvrage de ce type nous recommandez-vous ?
Son odeur après la pluie, de Cédric Sapin- Defour.
Et que Dieu me pardonne, de Claire Norton, 9 euros, Editions Pocket